Un panel d’intervenants avisés débattent des terres collectives et du développement rural
à 337.000 hectares comprenant 450
collectivités ethniques et 82.000 familles
Le débat organisé par le Groupe socialiste à la Chambre des représentants mardi dernier sur le thème «Les terres collectives et le développement rural : quelles perspectives ?», a tenu toutes ses promesses.
« L’organisation de cette rencontre vise à ouvrir un débat public sur ce sujet », a affirmé d’emblée Saïd Baaziz, membre du Groupe socialiste, qui a présidé et modéré les travaux de cette journée d’étude. Selon lui, il est fondamental de préciser les notions sur les terres collectives et d’aborder ce sujet d’un point de vue juridique, administratif ou judiciaire.
Pour sa part, le président du Groupe socialiste, Amam Chokrane, a assuré que le sujet des terres collectives est problématique et fort épineux nécessitant une approche holistique pour l’aborder. D’où la diversité des intervenants et des axes lors de cette journée d’étude.
Chokrane Amam a rappelé le discours de S.M le Roi Mohammed VI prononcé en octobre 2018 à l’occasion de l’ouverture de la 1ère session de la 3ème année législative de la 10ème législature et dans lequel le Souverain a appelé à « la mobilisation des terres agricoles appartenant aux collectivités ethniques pour la réalisation de projets d’investissement agricole, qui constitue un levier fort pour améliorer globalement le niveau de vie socio-économique, et plus particulièrement celui des ayants droit. Une telle mesure permettrait de mobiliser pas moins d’un million d’hectares supplémentaires de ces terres ». Et d’ajouter : « A l’instar de ce qui a été fait en matière d’appropriation des terres collectives situées dans les périmètres irrigués, il est désormais indispensable d’instituer les dispositifs juridiques et administratifs adéquats pour étendre le champ d’application du processus d’appropriation à certaines terres bour (non irriguées), et ce dans l’intérêt bien compris des ayants droit».
Le président du Groupe socialiste a, par ailleurs, souligné que le débat permet de clarifier les notions, d’aborder la réalité, de penser toutes les problématiques en relation avec les terres collectives, tout en affirmant que les recommandations et les résultats de cette rencontre seront adressés à « tous ceux qui n’ont pas pu y assister pour des raisons purement organisationnelles». D’ailleurs, Saïd Baaziz a souligné qu’un livret contenant les résultats de cette journée sera publié prochainement.
« C’est une initiative louable qu’un Groupe parlementaire organise un débat sur ce sujet surtout après le discours de S.M le Roi à l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire », a lancé Abdelmajid El Henkari, gouverneur-directeur des affaires rurales au ministère de l’Intérieur.
Selon lui, 5043 collectivités ethniques regroupent une population totale estimée à environ 10 millions d’habitants exploitant ces terres sous la tutelle de l’Etat représenté par le ministère de l’Intérieur.
Les terres collectives constituent aujourd’hui un véritable réservoir foncier (près de 15 millions d’hectares, selon Abdelmajid El Henkari). Ces terres collectives étaient inaliénables. Elles ne pouvaient être vendues ni louées puisqu’elles appartiennent à la tribu et que c’est à celle-ci que revient leur usufruit. Elles étaient exploitées de manière collective par le biais de l’usufruit ou de la jouissance du revenu de ces terres par les ayants droit. Ces terres sont régies par le Dahir du 27 avril 1919 qui « n’est plus en phase avec les profondes mutations de la société marocaine ».
Selon les statistiques présentées par le directeur des affaires rurales, la surface des terres irriguées est estimée à 337.000 hectares comprenant 450 collectivités ethniques et 82.000 familles qui «pourraient profiter du processus d’appropriation ».
Il y a également près de 1 million d’hectares qui se trouvent dans le périmètre urbain ou semi-urbain et près de 2 millions d’hectares de terres bour (non irriguées) et 65.000 ha de terres collectives forestières.
En ce qui concerne l’apurement juridique de ces terres, Abdelmajid El Henkari a assuré que près de 3.156.289 ha sont des terres qui ont été immatriculées et 785.886 ha font l’objet d’une demande d’immatriculation foncière dont 306.328 ha dans le cadre d’une « procédure spéciale d’immatriculation » et 470.033 ha dans le cadre d’une « procédure normale ». En plus, l’intervenant a précisé que 7.803.642 ha des terres font l’objet de délimitation administrative. En ce sens, il a appelé à l’accélération du processus d’immatriculation foncière pour mettre fin « à la spoliation et l’exploitation illégale des terres collectives ».
En ce qui concerne les contentieux relatifs aux terres collectives, il a souligné que 244 décisions judiciaires prises en 2018 ont été en faveur des collectivités ethniques contre 164 décisions.
Par ailleurs, Hassan El Guassem, directeur des affaires civiles au ministère de la Justice a mis l’accent sur plusieurs décisions de la justice marocaine qui ont reconnu le droit des femmes à l’exploitation et à l’héritage des terres collectives consacrant ainsi l’égalité entre les hommes et les femmes.
Pour sa part, El Mahdi Arrifi, directeur général de l’Agence de développement agricole (ADA), a abordé le thème de l’investissement agricole pour la valorisation des terres collectives et la promotion de l’emploi et du bien-être dans le monde rural. Pour lui, les terres collectives constituent un enjeu majeur pour le Maroc, car elles sont un véritable réservoir foncier permettant de réaliser des projets agricoles rentables, mais « qui ne sont pas exploitées convenablement », a-t-il déploré, tout en affirmant que le savoir-faire accumulé par le ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rurale et des Eaux et Forêts durant les 10 ans de mise en œuvre du Plan Maroc Vert est à même de mieux exploiter ces terres pour créer la richesse dans le monde rural.
L’intervention de Saïda Idrissi, présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc a porté sur les «Acquis et défis du mouvement revendicatif des femmes soulaliyates». Elle a mis l’accent sur la lutte des femmes soulaliyates depuis 2006 pour défendre leurs droits de jouir des terres collectives, tout en affirmant que cette lutte leur a permis de réaliser quelques acquis. En effet, 22 femmes ont pu devenir des Nouabs (représentantes) de la Jemâa malgré les résistances et quelques-unes ont accédé également au Conseil de tutelle (Nouabs et le Conseil de tutelle sont deux institutions prévues par le Dahir de 1919). Mais elle a, cependant, déploré le fait que les circulaires de 2009, 2010 et 2012 du ministère de l’Intérieur n’ont pas résolu tous les problèmes et n’ont pas mis fin aux résistances, tout en espérant que le Parlement prendra en compte les attentes des femmes soulaliyates lors des débats sur le projet de loi en vue de réviser les dispositions du Dahir de 1919.
Quant à Latifa Bouchoua, présidente de la Fédération de la Ligue de droits des femmes, elle a appelé à associer les associations de défense des droits des femmes surtout celles qui sont au fait de ce dossier à l’élaboration des projets de loi concernant les terres collectives.
Par ailleurs, Mohamed Hanzaz, directeur des études à l’Institut national d’aménagement et d’urbanisme de Rabat, a analysé les grandes mutations des terres collectives entre les différences d’exploitation et la multiplicité des contraintes.
Pour sa part, Fouad Bennouna, avocat au Barreau de Fès et membre de la Fédération nationale de l’investissement agricole et touristique, a traité de «L’investissement dans les terres collectives entre les textes et la réalité ». Il s’est interrogé sur le sort des investisseurs qui ont placé des milliards dans les terres collectives.
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