Evidemment, nous ne demandons pas d’appliquer des plans préparés d’avance par les institutions internationales, mais nous espérons que la créativité des marocains fera ses preuves encore fois dans ce domaine et que le capital national -avec le soutien de l’Etat- pourra développer les quelques expériences embryonnaires d’économie verte en vue d’améliorer les conditions de vie de nos concitoyens, de créer des postes de travail et de diminuer la pauvreté et l’immigration
Plateforme d’orientation pour l’encadrement du dialogue « Ittihadi » concernant la conjoncture actuelle
Vu que nous sommes devant une crise économique sans précédent, à la fois une crise de l’offre et de la demande, en sortir dans le cas du Maroc tout particulièrement, ne peut se faire via une politique de relance économique traditionnelle consistant à verser des fonds dans le système financier et à aider les entreprises en détresse. Nous sommes appelés aujourd’hui plus que jamais à mettre fin aux pratiques du passé.
- La priorité accordée à faire face aux risques de liquidité ne doit pas cacher d’autres risques qui nous guettent
La fermeture totale et inopinée du pays, qui était et est toujours nécessaire pour la préservation de la vie des citoyens, a impacté la majorité des entreprises marocaines[1] et affecté leur capacité à faire face au risque de liquidité. Pour cette raison, la réaction du gouvernement à travers « le Comité de veille économique » était judicieuse et vitale pour atténuer ce risque.
Cependant, nous ne devons pas nous contenter de cela et nous devons nous tourner vers le risque de solvabilité qui pourrait empirer avec le retard de la reprise de l’activité économique. Le gouvernement pourrait acheter les dettes de certaines entreprises ou même rentrer dans le capital de certaines d’entre elles pour atténuer le poids de la dette pesant sur leurs bilans et pour leur permettre de continuer à investir et à employer. L’Etat pourrait même les nationaliser provisoirement pour éviter leur faillite. Il faut préciser que le recours ici à la nationalisation n’est pas fondé sur un référentiel idéologique, mais il vise à sauver les entreprises nationales de la faillite et, partant, à préserver les moyens de production et les postes d’emploi. A titre d’exemple, nous sommes aujourd’hui face à un modèle de mauvaise gestion d’une société nationale par le secteur privé qu’il faut penser à nationaliser pour tirer profit de ses actifs vu la situation actuelle du marché mondial du pétrole. Il s’agit en l’occurrence de la SAMIR.
Le problème de liquidité affecte également la balance des paiements. Les rapports de l’Office des Changes sur le commerce extérieur montrent comment la crise du Covid-19 affecte la balance commerciale marocaine. En effet, la valeur des exportations a dégringolé beaucoup plus que celle des importations. S’ajoute à cela la baisse prévue des recettes du tourisme, des transferts d’argent des MRE et de l’investissement direct étranger. Cette situation ne peut nous conduire qu’à un choc que même la baisse de la facture énergétique ne pourra atténuer. Pour cette raison, il est urgent de prendre des mesures pour réduire l’importation des produits considérés « non nécessaires » et revoir les accords de libre-échange dont certains sont en défaveurs de l’acteur économique marocain.
- La politique fiscale et la structuration du secteur informel
Les efforts consentis par le gouvernement resteront insuffisants et peu efficaces à cause de l’importance du secteur informel. En effet, un nombre important de Marocains ne sont pas intégrés dans le système fiscal ni à la CNSS[2].
La politique fiscale et les mécanismes de la protection sociale sont d’abord des outils de pilotage de la gestion de la société pour la préservation de sa cohésion, notamment pendant les crises. Et si le Maroc n’avait pas œuvré depuis son indépendance à mettre en place ces mécanismes (en dépit de leurs limites), nous pourrions être aujourd’hui parmi les Etats dits « faibles » qui ont non seulement besoin d’aide financière et d’accès aux crédits, mais également d’aide à la gestion de cette crise et peut être même à acheminer les aides à leurs citoyens.
Pour cela, l’universalité de ces mécanismes est une nécessité vitale pour le Maroc post-crise Covid-19 et cela passe par la mise en place d’une politique fiscale équitable et équilibrée pour que nous puissions être en mesure de faire face à des crises futures avec plus d’efficacité et moins de coût pour les finances publiques et pour que notre politique économique ait un plus grand impact sur la création de d’emploi.
Nous devrions, donc, affronter les dysfonctionnements du système fiscal actuel à travers : 1) l’élargissement de l’assiette fiscale pour inclure toutes les activités commerciales y compris les nouvelles activités (l’économie numérique par exemple) ; cette crise a dévoilé la limite du phénomène du « système D » et a répondu à tous ceux qui mettaient en doute l’utilité de payer ses impôts ou de déclarer ses employés au niveau des Caisses de protection sociale ; 2) La pénalisation de la fraude fiscale ; 3) La révision des seuils fiscaux pour l’impôt sur le revenu (IGR) et l’impôt sur les sociétés (IS) pour inciter à l’intégration du secteur informel. Ce sont des conditions préalables pour rééquilibrer les finances publiques, d’une part, et pour permettre au gouvernement de disposer des mécanismes à même de redynamiser les secteurs sinistrés et d’orienter l’investissement vers de nouveaux secteurs, d’autre part.
- La nécessité du soutien de la production nationale pour que celui de la consommation ne nous pousse pas à augmenter les importations
La promotion de la production nationale est inévitable pendant et après la crise du Covid-19. D’une part comme conséquence logique de la perturbation des chaînes de production à l’échelle mondiale et la dégradation des échanges commerciaux internationaux ; et d’autre part, vu que la plupart des gouvernements sont conscients aujourd’hui qu’un minimum d’autosuffisance est devenu nécessaire pour faire face à cette crise mondiale.
A cet égard, nous avons déjà plaidé dans notre mémorandum sur le nouveau modèle de développement et dans notre programme électoral des élections législatives de 2016 pour l’importance de la reprise de l’initiative nationale et pour ne pas tout miser sur l’acteur extérieur (qu’il s’agisse de l’investissement (IDE) ou de marchés pour écouler nos produits). Nous avons considéré que les PME doivent être au centre des politiques monétaires, des stratégies sectorielles et de la gestion du climat des affaires, dans le but de les développer, de les protéger et d’améliorer leur compétitivité, ce qui leur permettra de garantir des postes de travail, d’approvisionner le marché intérieur et de se diriger ensuite vers l’exportation.
Les événements actuels sont un bon exemple de la capacité des entreprises marocaines à s’adapter et de la capacité des travailleurs marocains à innover. Ainsi, en quelques semaines des entreprises marocaines ont réussi à développer la fabrication des masques à tel point que nous avons atteint l’autosuffisance et, mieux, nous avons commencé à exporter le surplus.
L’encouragement du capital national producteur, employeur et innovant exige l’élimination de l’économie de rente, de la spéculation, du monopole et autres pratiques visant l’enrichissement rapide d’une minorité, sans créer de valeur ajoutée ni pour la nation ni pour les citoyens.
- Quid des nouvelles politiques sectorielles ?
Etant donné que nous sommes en train de poser les jalons d’un nouveau modèle de développement, il faut créer de nouveaux mécanismes de production de la richesse surtout après l’impact de la pandémie sur plusieurs secteurs économiques qui a rendu impossible à retour à leur situation d’avant la crise.
Et comme nous défendons, en tant que sociaux-démocrates, un modèle de société moderniste et solidaire, nous ne pouvons penser la solidarité ici et maintenant seulement, mais il est également question, selon nous, d’une solidarité intergénérationnelle. Pour cela, nous considérons que l’économie verte est l’un des piliers essentiels sur lesquels reposera le nouveau modèle de développement du Maroc.
La croissance verte est une occasion pour dépasser les modes de production et de consommation non durables et caractérisés par le gaspillage. Il ne s’agit pas ici de se contenter de prendre en compte les questions environnementales dans les décisions d’investissement dans l’infrastructure par exemple, mais il s’agit d’une vision globale de la politique économique nationale qui vise le développement durable protégeant le capital naturel et garantissant une vie digne aux citoyens où qu’ils se trouvent sur le territoire national et particulièrement les habitants des zones isolées dans les montagnes, les oasis et les citoyens transhumants.
Il n’est pas question ici d’appliquer les recommandations des institutions financières internationales ou des bureaux d’études, mais il s’agit plutôt d’un besoin urgent compte tenu de la rareté des ressources en eau et de la fragilité des écosystèmes dans notre pays, ce qui d’ailleurs a déjà eu des effets désastreux ces dernières années sur nos concitoyens.
Evidemment, nous ne demandons pas d’appliquer des plans préparés d’avance par les institutions internationales, mais nous espérons que la créativité du Marocain fera ses preuves encore une fois dans ce domaine et que le capital national –avec le soutien de l’Etat- pourra développer quelques expériences embryonnaires en vue d’améliorer les conditions de vie, de créer les postes de travail et de diminuer la pauvreté et l’immigration. Un exemple des secteurs qu’on peut développer est le secteur de la production des plantes médicinales dont regorge notre pays, pour que nous puissions passer d’un pays exportateur de matières premières à un pays exportateur des principes actifs qui rentrent directement dans l’industrie des médicaments et des produits cosmétiques. Il faut citer également les initiatives d’exploitation des énergies renouvelables et qui nécessitent la réglementation de leur vente du secteur privé vers le réseau national d’électricité, ainsi que les initiatives de recyclage des déchets, etc.
Il y a lieu de signaler que cette orientation faciliterait l’accès au financement sur le marché mondial surtout après cette pandémie qui a changé la vision des institutions financières quant au rôle de l’économie verte et a convaincu beaucoup d’acteurs de la nécessité d’éviter l’exploitation avide des ressources de la terre et de préserver notre mode de vie.
Pour cette raison, nous proposons que notre modèle d’une économie verte au Maroc passe tout d’abord par le secteur de l’agriculture, à travers l’encouragement de l’agriculture biologique, le soutien aux petits agriculteurs en leur permettant d’accéder à la propriété des terres et au financement et en les accompagnant sur le plan technique. Cela aura un double effet : d’une part, la production de produits alimentaires de qualité pour le marché intérieur, ce qui améliorera la santé des citoyens et permettra d’exporter le surplus compte tenu de l’augmentation de la demande pour ces produits ; et d’autre part, l’augmentation du revenu des ménages dans le monde rural et, partant, l’atténuation de la pression migratoire sur les villes dont les banlieues souffrent de la forte densité de population et de conditions de vie difficiles.
Quant aux secteurs sinistrés suite au confinement sanitaire, nous aurons besoin de beaucoup de courage et de créativité pour sortir de la crise. Le secteur du tourisme, à titre d’exemple, a été fortement impacté par la fermeture des frontières et l’arrêt du mouvement des voyageurs. En effet, la Confédération nationale du tourisme estime les pertes du secteur à 46 milliards de dirhams à l’horizon 2022. Sachant que ce secteur assure environ 500.000 postes de travail et que son retour à la situation normale dans un an ou deux ans est impossible, le soutien financier aux entreprises de ce secteur ne sera pas suffisant puisque l’offre sera sans aucun doute plus importante que la demande, ce qui aura pour conséquence la fermeture de certaines unités hôtelières et entreprises touristiques. Pour cela, il faut, d’une part, encourager le tourisme intérieur en développant un produit touristique répondant aux attentes et aux intérêts du touriste marocain et, d’autre part, prendre en compte les travailleurs dans ce secteur et préparer des programmes pour requalifier une partie d’entre eux et les réorienter vers d’autres secteurs.
Idem pour le secteur des services et du commerce qui sera impacté par le changement des modes de consommation et par le développement du commerce numérique (à titre d’exemple, en Chine, après le déconfinement environ 30% de la population effectue ses achats via internet au lieu de se rendre aux commerces traditionnels).
Enfin, il faut développer les capacités des régions et des provinces en prévision d’un avenir plein de dangers similaires à ceux que nous vivons aujourd’hui. Cela passe par deux mécanismes :
- Développer un réseau logistique afin de renforcer les capacités des régions et des provinces et leur permettre d’atteindre l’autosuffisance dans des domaines vitaux comme l’énergie, les produits alimentaires de première nécessité et la santé ;
- Préserver les terres agricoles de l’extension urbaine et encourager leur exploitation dans l’agriculture pour fournir des produits locaux.
Compte tenu de tout ce qui précède et étant dans une course contre la montre pour gérer cette crise et ses répercussions, nous pensons qu’il est urgent de présenter dans les plus brefs délais une loi de Finances 2020 rectificative au Parlement et de présenter des scénarii pour le projet de loi de Finances 2021.
- L’évaluation, la mise à jour et le contrôle
Nos ressources sont limitées et nécessitent une utilisation rationnelle et efficace. Pour cela, le versement de l’argent par l’Etat pour le secteur privé ne doit pas être considéré comme un chèque en blanc. Au contraire, le gouvernement doit activer les moyens de contrôle et de suivi et assumer ses responsabilités dans ce domaine en présentant des rapports périodiques au Parlement à propos de la gestion de la pandémie, de ses répercussions et du sort de l’argent versé soit à partir du budget de l’Etat ou du « fonds Covid-19 ».
Nous devons également être armés pour assurer le suivi et le contrôle de tout ce qui se passera durant la période de déconfinement, pour tirer les leçons et réagir rapidement en vue de revoir, le cas échéant, les mesures que nous avons prises.
[1] Voir le sondage d’opinion réalisé par la CGEM.
[2] Caisse Nationale de Sécurité Sociale
Driss Lachguar – Premier secrétaire de l’USFP
Plateforme d’orientation – Driss Lachguar USFP – COVID19 VFr
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